Manhattan - Kaboul (Partie 2)

Un rat courait dans l'usine. Il allait consciencieusement de pièce en pièce, d'abri en abri. Pendant ce temps, un chat était assis sur le toit, guettant quelque chose. Un mulot parcourait les conduits de ventilation. Leur point commun était que les cerveaux des trois étaient connectés à Muetdhiver, qu'il voyait par leurs yeux, entendait par leurs oreilles, les commandait directement.

Bien, la voie est libre.

Le mutant passa la palissade qui les séparait du chantier abandonné et se dirigea, toujours prudemment, vers l'usine. Il se retourna rapidement, cherchant des yeux Taki.

Vous êtes toujours là ?

L’ectoplasme humait l’odeur des lieux : le froid se mêlait à l’a fragrance de chocolat ainsi qu’à celle du sang. Puisqu’il était un revenant, il sentait forcément ce genre de choses… Les victimes qu’il avait assassinées avec son arme à feu empestaient toujours ici. Il fallait dire que le meurtre datait de peu. Et puis… Un tueur sent toujours la présence de ses cibles lorsqu’il retourne sur le lieu du délit.
Ses jambes immatérielles le portaient à la suite du Muet. Taki ne faisait guère attention à ce qu’il y avait face à lui ou devant ses pieds. Il passait irrémédiablement à travers et ne pouvait faire de chute malencontreuse. Le mutant devait être encore devant lui, le spectre entrevoyait ses formes sous formes de taches. Il se frotta les yeux, retournant alors à la réalité.

« Je suis toujours là, oui. »

Lorsqu’il avait entendu que la voie était libre, il s’était rapidement rapproché de son interlocuteur. Celui-ci semblait sur ses gardes, comme s’il dissimulait un précieux trésor. L’usine devait être un véritable labyrinthe pour un étranger, toutefois ça ne semblait pas l’être pour Muetdhiver. Le fantôme se doutait que ces couloirs étaient en fait des galeries qui constituaient la base secrète de la créature.

« Ne vous en faites pas, je ne vous perdrais pas de vue si facilement. »

À ces mots, il passa sous le sol et se retrouva face au bossu. Il avait été extrêmement rapide, mais avait agi ainsi pour prouver à son accompagnateur qu’il serait difficile à semer et qu’il avait réellement envie d’assister à l’opération.

Muetdhiver fut surpris de l'apparition brutale de l'ectoplasme. Il bougeait vite. Le mutant mit l'un des processeurs greffés sur son cerveau à l'analyse de ce mouvement. Peut-être qu'il pourrait en retirer quelque chose, au moins des informations sur la meilleure manière de lui échapper en cas de besoin. Cela pourrait s'avérer utile.

Bien, allons-y

Muetdhiver suivi de Taki progressaient dans un dédale de conduits de ventilations, conduites de chocolat fondu maintenant vides, et débouchèrent sur une cuve qui contenait du lait il y a bien longtemps de cela. A la place du lait se trouvaient deux chiens en état de décomposition avancée. Ils se levèrent et s'approchèrent doucement, l'air menaçant.

Je vous présente Jill et Leon, mes gardiens. Je les ai, heu, travaillés.

Les dénommés Jill et Leon se recouchèrent après avoir reçu un ordre mental de leur maître.

Mon laboratoire est juste là.

Le mutant ouvrit une trappe, qui menait à un couloir. Au bout de ce couloir se trouvait une petite salle au centre de laquelle était disposée une table.

Nous y voilà.

L'enfant commençait à geindre. Muetdhiver repris la voix de la mère.

Là, Kevin, nous sommes bientôt arrivés. Tout ira bien, tu verras, nous allons rentrer à la maison, et puis Maman t'emmènera manger au MacCouic.

Le mioche poussa un gémissement de soulagement, qui ne dura pas longtemps. Au travers du sac, Muetdhiver lui colla un masque sur le visage et ouvrit la bouteille qui y était reliée.

Ca y est, tout est prêt.

Le revenant acquiesça lorsque le Muet lui ordonna de reprendre le chemin. Le gamin à l’intérieur du sac devait certainement se demander ce qu’il lui arrivait et qui était en train de parler autour de lui. Il devait également trouver qu’il est suspect de marcher sans vraiment s’arrêter. Pourquoi sa soi-disant mère ne le sortait pas du sac ? Ce gosse ne se posait pas ce genre de questions ? Il devait être drogué s’il n’y songeait pas…
Le mutant accompagna Taki dans toutes sortes de conduits de ventilations. L’ectoplasme essayait de retenir mentalement les directions que son compagnon lui faisait prendre, malheureusement il peinait à tout mémoriser. Tout se ressemblait, il aurait été incapable d’y retourner, sauf s’il se dématérialisait et traversait toute l’usine par les murs. Ils arrivèrent jusqu’à une cuve où deux chiens dans un sale état étaient venus accueillir leur maître. Ils ne semblaient pas en forme… D’ailleurs, étaient-ils vivants ? Leur corps semblait se décomposer. Le mort-vivant les scruta avec grand intérêt. L’enfant allait-il ressembler à ça ?

« Bonjour, Jill et Leon. »

Comme à chaque fois qu’il rencontrait quelque chose qui lui plaisait, le jeune homme se mit à sourire aux deux créations. Il était impressionné par ces bêtes : comment faisaient-elles pour survivre et marcher malgré leur état ? Il ne posa point la question, car il remarquait que le seigneur de ces lieux avait déjà repris sa marche.

« Effectivement, ils ont plutôt bonne mine ! » fit-il d’un air amusé.

Il le suivit jusqu’à son laboratoire en passant à travers la trappe et suivant Muetdhiver comme son ombre. La salle était presque comme le fantôme s’y attendait. Il aurait toutefois imaginé un peu plus de meubles ou de fioles. Ayant promis de se taire, il regarda le bossu se mettre au travail. Même si être en plein milieu du passage ne gênait pas, Taki se plaça dans un coin. Aussi silencieux qu’une pierre tombale, il se contenta d’observer la scène.

Muetdhiver se mit au travail : il sortit l'enfant de son emballage, lui place un masque sur le visage qui lui diffusait un puissant somnifère, et l'opéra. Ce fut rapide. Quelques dizaines de minutes plus tard, le petit humain avait diverses puces électroniques dans le cerveau et une plaque métallique à la place de la partie de son crâne qui avait été enlevée pour l'opération.

Nous y voilà.

Le mutant se tourna vers Taki

Prêt à voir le résultat ?

Le spectre observait les bras croisés. Aucun geste effectué par le Muet ne lui échappa. Il restait là, notant chaque étape de l’opération, scrutant les réactions du chirurgien comme du patient. Ce dernier avait été endormi, fort heureusement. Taki était rassuré : il n’aurait pas à supporter les cris exaspérants de ce gamin. Certes, ça devait certainement être une formalité, mais au moins il n’aurait pas des envies de meurtres à voir ce mioche gesticuler et brailler.
Le bossu travaillait vite et dans le calme ; cela impressionna le revenant qui ne pensait pas qu’une telle chose demande quelques dizaines de minutes. Il s’attendait à rester ici beaucoup plus longtemps. Et bien non… Le scientifique se débrouillait très bien, c’était impressionnant. A la fin du laps de temps, l’ectoplasme entendit la voix de Muetdhiver détruire le silence de ces lieux. Il tourna la tête vers lui, l’air un peu perdu. Il était encore dans l’opération, complètement absorbé par le travail méticuleux qui lui avait été offert sous les yeux.

« Q… »

Le monstre se reprit, il ne fallait pas qu’il parle, il l’avait promis. Même si le mutant lui avait posé une question, il ne l’avait pas forcément autorisé à entre ouvrir les lèvres. Il hocha la tête en souriant : oui, il était prêt à voir le résultat… Il tourna son attention vers le petit corps à présent transformé. L’expérience avait-elle fonctionné ?

Muetdhiver sourit en voyant l'hésitation de Taki. Il réagissait de manière amusante. Il avait l'air impressionné. Se doutait-il seulement que cette opération était loin d'être la première du genre ? Plusieurs centaines pour se faire la main sur des animaux, avant la réussite sur son chat et son rat, puis Jill et Leon, et maintenant quelques dizaines sur l'étape suivante : des humains.

Avec un sourire moqueur à l'égard de l'ectoplasme, il ferma la bouteille de gaz que respirait l'enfant et lui enleva son masque en souriant. Le mutant tâta son pouls.

La bête respire, on dirait.

Il saisit un carnet et y prit quelques notes. Puis, ménageant un effet de spectacle, il se tourna vers l'enfant allongé sur la table et déclara d'une voix forte.

Lève-toi et marche !

L'enfant nouvellement modifié se leva et fit quelques pas en direction de Taki, les bras ballants le long du corps, le regard vide. Le mutant prit encore quelques notes.

Pas mal du tout.

Il s'adressa à Taki, un sourire méchant sur les lèvres.

On va faire un tour ?

Le bossu était vraiment habile, il semblait parfaitement savoir ce qu’il faisait. Comme dans le film ‘Edward aux mains d’argent’ de Tim Burton, il savait utiliser ses mains. Taki avait admiré le rythme de ses doigts, sa concentration hors du commun et son calme inhabituel. Le mutant avait certainement fait ce genre de travail avant. Pas que sur des animaux, il avait du s’attaquer à beaucoup d’humains.
Le spectre se souvenait de quelques paroles qu’il avait échangé auparavant avec le scientifique : ce dernier ne travaillait jamais sur des monstres. Apparemment, il ne les appréciait pas… À moins qu’il déteste encore plus les humains. Quand il en parlait, il devenait assez méprisant. Les citoyens étaient ses proies, ses sujets, voire ses serviteurs. Pourquoi un tel comportement ?
L’enfant avait beau être un cobaye, son bourreau était tout de même attentif : il essayait de ne pas lui faire du mal, il prenait sous pouls et l’observait. On aurait dit qu’il agissait presque comme un père. C’était tout comme. En quelque sorte, le gamin était devenu sa création. Il lui donnait des ordres, le mioche obéissait. Le fantôme scrutait la scène sans dire mot ni avoir de réaction. Il ne souriait point, mais ne montrait aucune inquiétude. Il attendait de voir la suite.

« Soit. » répliqua le revenant d’un murmure.

Il se recula d’un ou deux pas afin d’avoir une vue d’ensemble. Lentement, il se dirigea vers la porte de la pièce. Il se planta devant, attendant, scrutant…