Les croquettes ne croustillent pas comme les céréales

Les pensées de Sofia se bousculaient les unes contre les autres. Elle ne bougeait pas et se demandait toujours comment le commerçant avait agi pour transformer les lieux. Si c’était lui, elle allait devoir lui demander s’il était un monstre… Dans ce cas, il était vraiment être une créature gentille, trop d’ailleurs. Elle le revoyait encore en train de s’excuser pour les avoir surpris dans les cabines.
Elle tourna la tête vers le bossu qui l’avait suivi. Son visage pâlit, elle écarquilla les yeux. Ses traits se décomposaient, effaçant son sourire jadis si chaleureux. L’étranger était allongé au sol, crachant du vomi et produisant des sons angoissants. Bon sang, que lui arrivait-il ? Qu’avait cet inconnu ? Se sentait-il mal ? Elle tomba à genoux près de lui et tendit une main inquiète en sa direction. A sa grande surprise, ses doigts tremblotaient au fur et à mesure où elle les avançait vers le corps.

« Est-ce que… »

Elle n’osait achever sa phrase car le râle du Muet dont elle ignorait l’identité l’avait fait sursauter. On aurait dit qu’il poussait un cri de panique ou de désespoir. Quoi qu’il en soit, le fait qu’il régurgite juste après, montrait qu’il se sentait mal. Elle voulut poser sa main sur son épaule, toutefois la créature la supplia de l’emmener quelque part.

« Vous cacher ? » répéta-t-elle avec confusion.

Sa gorge était sèche, elle ne pensait pas que les événements allaient se dérouler ainsi ! Elle pensait qu’il allait parler avec la personne qu’il attendait et non se mettre dans un tel état. Elle interpella son entourage :

« Qui est l’ami que ce monsieur attendait ? »

Personne ne répondit, les gens semblaient tout aussi paniqués qu’elle. La jeune fille chercha Kirel du regard. Lorsqu’elle la trouva, elle la fixa intensément. Ses yeux étaient plein d’inquiétude. Elle n’avait pas peur, cependant elle voulait faire comprendre à sa camarade qu’elle avait besoin d’aide. Oui, elle n’arriverait à rien toute seule.

« Nous partons… Au revoir ! » lança la famille qui souhaitait manger cinq minutes auparavant.
« Allons, vite mon chéri, accélère le pas ! » ajouta la mère.

La rouquine se redressa et déclara d’une voix sèche :

« Une minute, pourquoi partez-vous ? Vous ne reconnaissez pas votre ami ? »
« Bien sûr que non, cet être difforme ?! Nous ne l’avons jamais vu ! » cracha le père.

La damoiselle demeura silencieuse. Vraiment ? Ils ne le connaissaient pas ? L’étranger lui avait-il menti ? A moins qu’il attende le commerçant. Elle hocha la tête en se disant qu’il fallait qu’elle se reprenne.

« Ca n’est pas une raison pour le traiter d’être difforme. Vous devriez modérer vos propos ou j’enverrai un spectre vous attaquer cette nuit ! Pire, une sorcière qui ferra pousser des champignons sur votre peau ! Nous verrons ensuite qui est le non humain… »

Son ton était sec et tranchant, elle montrait qu’elle détestait ce genre d’individu qui classait les personnes selon des normes ou un aspect physique idéal. Tout ce qui importait à ces idiots était leur petite personne. Elle les méprisait au plus haut point. La famille quitta vite les lieux dans l’idée d’appeler la police dès qu’ils seraient sortis du centre commercial. Sofia sortit un mouchoir de son sac et essuya le vomi qui coulait encore un peu des lèvres de l’inconnu. Il lui avait demandé de le cacher et elle allait le faire. Elle l’emmènerait chez elle où il serait en sécurité.

« Kirel, viens m’aider s’il te plaît, il faut sortir d’ici au plus vite. Je vais le dissimuler chez moi ! »

Sans quitter le corps des yeux, elle lança au vendeur :

« Je suis désolée, nous goûterons à vos plats plus tard… Il y a plus important à présent. »

Nombre de messages : 23 Date d'inscription : 20/09/2008

Le pauvre vendeur vit avec horreur le muet rendre son déjeuner sur son carrelage. Mais qu'avait-il ? Il était malade ? La réaction de la famille l'horrifia également. C'était de la non-assistance à personne en danger, de partir comme ça ! En même temps, que pouvait-on faire ? Il resta planté à constater les faits jusqu'à ce que Sofia parle de l'emmener chez lui. Il s'avança alors, prenant son courage à deux mains.

"Je... je peux peut-être vous aider..." proposa-t-il. "Je... peux le porter, si vous voulez..."

Comme à chaque fois qu'il proposait un coup de main, la per de voir son aide refusée le prit. Il se frappa intérieurement pour se convaincre que c'était idiot, puis l'idée subite de fermer le magasin lui vint. Il appuya sur le bouton qui fermait la grille, puisq'il était apparemment question de dissimuler le malade. Était-ce un repris de justice ? Un malfaiteur ? Un tueur en série ? Adraziel chancela un instant, puis s'acroupit aux côtés du muet pour reprendre contenance.

*Mais dans quoi est-ce que je m'embarque, moi ?*

Sofia essuyait toujours ce qu’avait l’inconnu sur les lèvres. Les effluves du vomi lui montaient à la tête, la faisant légèrement chanceler. Elle restait concentrée sur ce qu’elle faisait au maximum. Si elle sombrait à son tour, la police n’aurait plus qu’à repêcher le petit groupe sans grande difficulté. Non, il fallait qu’elle ne cède pas à l’odeur ni à la panique qu’elle contenait du mieux qu’elle pouvait.
La jeune fille se mordit la lèvre inférieure pour songer à autre chose qu’à son odorat. Elle attendait que Kirel vienne, elle avait besoin d’elle. C’est alors que le vendeur se manifesta ! A la grande surprise de la demoiselle, il proposa son aide. Apparemment, il souhaitait porter le bossu. La rouquine réfléchit quelques instants : elle n’avait pas assez de force pour traîner l’étranger jusqu’à chez elle. Il fallait le reconnaître, c’était une fille et elle n’avait pas assez de muscles pour porter quelqu’un à elle toute seule. Elle l’amènerait jusqu’à la sortie du centre commercial, mais après ? Tout le monde la remarquerait et appellerait la police… Satanés flics ! S’il faisait nuit, ce serait sans doute plus facile.

« J’accepte votre aide. » déclara-t-elle.

L’ombre d’un sourit germa de nouveau sur son visage. Cette aide était comme une lueur d’espoir dans le cœur de la jeune femme. Elle se redressa avec vivacité. Ce geste lui fit voir du noir temporairement. Le sang lui était monté trop vite à la tête, elle se sentait mal.

« Je… Je vais vous conduire chez moi. »

En disant ces mots, elle s’appuya sur l’épaule du commerçant. On aurait pu croire que c’était pour dire qu’elle lui faisait confiance ou lui donnait la relève, mais en fait, elle cherchait simplement à retrouver ses esprits. Cela ne dura guère longtemps, d’ailleurs. Au bout de trois secondes, elle avait déjà retrouvé quelques couleurs ainsi que sa motivation.

« Puisque vous avez fermé la grille, existerait-il une issue de secours ? Une porte où nous pourrions quitter les lieux sans se faire repérer ? »

Elle baissa les yeux sur l’homme inconscient qui se trouvait à ses pieds. Elle comptait tout faire pour l’aider. Si l’autorité les arrêtait, elle n’hésiterait pas à se défendre et à appeler Taki.

Nombre de messages : 23 Date d'inscription : 20/09/2008

Adraziel ramassa délicatement l'homme sur le sol. Même sous sa forme humaine, il gardait sa force de dragon, il n'eut donc aucune difficulté à le soulever et parut aussi peu gêné que s'il portait un sac de plumes.

"La seule sortie discrète, ce serait le toit." dit-il. "Mais ensuite, pour aller jusque chez vous, il faudrait voler ou être invisible. Ou les deux... Sinon, il y a bien la cour, mais elle donne sur une rue très fréquentée."

Il ouvrit la porte de l'arrière-boutique avec son genou et fit signe aux deux filles de le suivre.

Les yeux de l’humaine s’écarquillèrent lorsqu’elle vit le vendeur soulever le corps de l’étranger sans aucune difficulté. Comment se pouvait-il qu’il soit si fort ? Il semblait beaucoup plus faible qu’il n’y paraissait. Ce type était loin d’être un amas de muscles, pourtant il était assez puissant pour porter un adulte sans problème. La damoiselle sentit son cœur battre à tout rompre : était-il le monstre que son collier avait repéré ? Ca en avait tout l’air. Jamais un simple homme parviendrait à un tel résultat. De toute évidence, il était doté d’un pouvoir surhumain !

« Waouh… » ne pu s’empêcher de susurrer Sofia.

Elle était impressionnée par ce Hercule des temps modernes. Finalement leur fuite allait être plus facile qu’elle ne le pensait.

« Je ne sais pas comment voler ou être invisible. Kirel en a peut-être la possibilité… »

Tandis que le commerçant se dirigeait vers l’arrière-boutique, la rouquine eut une idée soudaine : elle se rua vers le comptoir pour prendre une feuille et du papier. En quelques secondes, elle avait grossièrement dessiné le plan de son quartier. Sa maison avait été barrée par une croix de couleur, afin de bien attirer l’attention. En dessous, une adresse était indiquée. C’était la sienne.

« J’opte le second plan, et tant pis pour la discrétion. Nous sommes dans un moment d’urgence. »

Elle fouilla dans son sac tout en continuant de parler.

« Ma maison n’est pas difficile à repérer. Ma famille est partie au travail ce matin, il n’y aura donc personne. C’est une chance, il faut la saisir. La fenêtre de ma chambre est toujours ouverte, ce qui serait une bonne entrée, sinon il vous faudrait les clefs… »

Elle sortit un long foulard jaune qu’elle accrocha à son crâne. Elle avait l’air d’un pirate des temps modernes. Un tube de mascara fit également son apparition : elle s’en tartina sur les joues et en dessous des yeux. Avec tout cet attirail, elle était méconnaissable.

« Je ferai diversion dans la rue. Vous, vous irez chez moi. Si la fenêtre ne vous convient pas, forcez la porte, on s’en fiche. Ma chambre est au premier étage. »

Après avoir fermé son sac à dos, elle suivit le vendeur. Elle était prête à faire diversion en pleine rue. Ce ne serait pas difficile, il suffirait de les divertir. C’était bien connu, un artiste de rue attire toujours l’attention, surtout s’il fait du bruit. Ses compagnons pourraient fuir sans se faire remarquer.

Charogne Nombre de messages : 128 Date d'inscription : 07/12/2007

Kirel avait écouté tout cet échange sans rien dire. Alors que Sofia se maquillait, elle brandit une fiole.

"Caméléon !" s'exclama-t-elle. "Je vais lui faire goûter la potion caméléon !"

Elle versa un produit d'une couleur infâme dans la gorge du type évanoui. Sa peau commença à prendre une couleur verdâtre, puis jaune vif, et enfin noir brillant. Sous l'oeil attentif de Kirel, elle passa par de nombreuses couleurs avant de prendre plus ou moins celle de son entourage. Finalement, au bout d'une minute, il était devenu plus ou moins invisible. Plus ou moins, car les habits et les parties non humaines étaient toujours aussi visibles.

"Ah ouais... Ben sur lui, ça sert à rien."

La jeune fille écarquilla les yeux en grand lorsqu’elle vit ce que faisait la sorcière. N’était-ce pas dangereux ? Elle craignait que la scène dans le centre commercial se reproduise : comme l’inconnu sur lequel Kirel avait fait des expériences, le bossu allait subir les effets secondaires du produit… La rouquine se pencha sur le corps inanimé qu’elle scrutait attentivement.

« Une potion caméléon… » répétata-t-elle. « J’espère que cela va fonctionner. »

Elle faisait confiance à la magicienne, cependant elle n’était pas certaine de la fiabilité de la potion qu’elle avait versé. Pourvu que sa camarade sache ce qu’elle faisait…Autrement, il allait avoir lui aussi des champignons sur le visage ! Ce serait pas très ‘joli joli’, tout ça ! À vrai dire, cela le déformerait totalement. Il en voudrait à l’alchimiste de l’avoir transformée ainsi et à elle-même de ne pas avoir réagit à temps.
Elle ne quittait pas l’inconnu un seul instant. Lorsque les premiers effets eurent lieu, elle pâlit : sa peau changeait de couleur ! Et quelles couleurs : du vert au noir ! À chaque changement, elle craignait que cela soit définitif. Elle eut d’ailleurs un mal fou à ne pas interrompre la sorcière pour lui demander si les phénomènes étaient normaux. Elle préféra se taire : peut-être qu’elle évitait un cataclysme. En un mot, la substance ingérée aurait mal tourné ou quelque chose du genre.
Enfin les couleurs se stabilisèrent : l’étranger devint plus ou moins invisible, ce qui rassura l’humaine. Cette dernière se permit de lâcher un soupir soulagé. Il n’avait rien d’irréversible, tant mieux !

« C’est toujours mieux que si on transporte un homme visible. Avec ça, il me semble que l’on passera plus inaperçus. »

Du bout des doigts, elle effleura le tissu qui semblait planer au-dessus du vide. Quelle curieuse sensation ! Tout semblait irréel, mais c’était comme si elle avait touché quelqu’un de visible.

« Essayons avec cette méthode, je ferai quand même diversion. »

La sortie vers la rue était à quelque pas du groupe. Il suffisait de pousser une barre et ils étaient dehors. Sofia se pinça la lèvre inférieure à l’aide de ses dents.

« J’espère que cela marchera… Au fait ! »

Elle se tourna vers Kirel à qui elle adressa un sourire mal à l’aise. Elle espérait qu’elle ne prenne pas mal sa question.

« Combien de temps dureront les effets de la potion ? »

Au moins, avec la réponse, elle saurait la durée qu’ils auraient pour fuir et se cacher en lieu sûr…